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Célestin Monga présente ''un Bantou en Asie''
(05/04/2012)
Célestin Monga évoque le fil conducteur de son dernier ouvrage dans lequel il partage ses réflexions sur les sociétés asiatiques
Par Yann Yange
[i Un Bantou en Asie], dernière oeuvre de Célestin Monga
Un Bantou en Asie, dernière oeuvre de Célestin Monga
Vous venez de publier aux Presses Universitaires de France votre dernier ouvrage, «Un Bantou en Asie», sorte de carnet de voyages où vous partagez de manière assez intimiste avec le lecteur vos réflexions sur les sociétés asiatiques, notamment le Japon, la Chine, le Vietnam ou le Laos. Qu'est ce qui vous a autant fasciné sur l'Asie pour que le Camerounais que vous êtes ait pu estimer qu'il pouvait lui consacrer ses réflexions dans un ouvrage tout entier ?

Enfant déjà, j’étais intrigué par ces ailleurs lointains dans lesquels m’entraînaient les films hindous et chinois. Pourtant, ces mondes étranges me semblaient familiers. Comme tous les gamins, j’étais très ému par les thèmes abordés : injustice, violence, amitié, amour, trahison, courage, etc. L’Asie a donc toujours occupé une grande place dans mon imaginaire.

Lorsque j’étais étudiant, une amie m’avait mis entre les mains trois livres : La maison des belles endormies de Yasunari Kawabata, Clair-obscur de Natsumé Sôseki et Une affaire personnelle de Kenzaburo Oe. Des textes incroyables. J’avais eu du mal à me remettre de leur lecture. La littérature japonaise était alors devenue comme une sorte de drogue dont mon esprit avait constamment besoin. J’ai été intrigué aussi par le fait que Cioran, un de mes philosophes préférés, nihiliste total qui semblait inconsolable de la punition d’être vivant, s’enthousiasmait quand même pour les philosophies et religions d’Extrême-Orient.

Je me demandais aussi pourquoi Schopenhauer qui ne croyait pas en grand-chose se disait bouddhiste... Paradoxalement, c’est l’Afrique qui m’a permis de comprendre un peu l’Asie. Lorsque j’ai lu La crise du Muntu de Fabien Eboussi Boulaga, j’ai compris que nous autres Africains avions toujours beaucoup de mal à nous émanciper de la douleur de l’oppression. La sérénité avec laquelle les Asiatiques se sont libérés des méfaits de la mémoire m’a alors séduit et est devenue instructive. J’ai compris que nous devons cesser d’être objets des fantasmes des autres et devenir enfin sujets de notre histoire.


Célestin Monga
Célestin Monga
Dès le début de l’ouvrage, vous contez l’histoire d’une ancienne Ministre des Finances occidentale qui a refusé que vous conseilliez son pays sur sa stratégie économique parce que vous étiez "Camerounais" (donc a priori incompétent), attitude en total décalage avec les qualités d’écoute voire la disponibilité que vous dites avoir observée chez les officiels asiatiques. Pensez-vous qu'on puisse affirmer qu'il y a une humilité asiatique et une arrogance occidentale vis-à-vis des étrangers, africains notamment ?

Non. Les généralisations ne me conviennent pas. A travers des anecdotes et histoires, je voudrais simplement montrer diverses manières d’approcher l’Autre. Les Japonais adoptent souvent une stratégie de conversation que j’apprécie particulièrement, et qui consiste à supposer toujours que l’interlocuteur a raison. Cette tradition est très enracinée dans le bouddhisme et le shintoïsme, les deux grandes traditions spirituelles du pays.

Il est bon de se montrer hospitaliers des opinions d’autrui. Et de s’enrichir constamment du savoir, même inconfortable, que l’Autre nous apporte. Jorge Luis Borges disait que tout a déjà été pensé en Inde et en Chine, parce que toutes les philosophies imaginables, du matérialisme aux formes extrêmes de l’idéalisme, ont été pensées là-bas. Je ne le crois pas du tout. Les africains ont beaucoup à apprendre aux Asiatiques, et vice-versa.

Vous racontez dans votre livre plusieurs confrontations intellectuelles que vous avez eues avec des asiatiques, notamment sur la question des droits de l’homme. A chaque fois, vos interlocuteurs donnaient l’impression de ne pas apprécier les leçons de « bonne conduite » venues d’ailleurs que vous vouliez leur prodiguer. Qu’ils soient simples citoyens ou officiels, les Asiatiques sont-ils fermés aux critiques qu’on fait sur leurs pays ?

Non. Je rapporte des conversations avec des personnes croisées au gré du hasard de mes rencontres. L’échantillon n’est donc ni statistiquement aléatoire ni scientifiquement représentatif. Et ces personnes soulignent simplement le fait que le corpus de ce que l’on appelle aujourd’hui “les droits de l’homme” est en réalité inspire et dominé par une vision occidentale et donc ethnocentrée du monde. La Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée par l’ONU en 1948 n’est qu’une version édulcorée de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen issue de la Révolution française de 1789 et du Bill of Rights attachée en 1971 à la Constitution américaine.

Tous ces documents sont eux-mêmes largement inspirés de la Grande Charte des Libertés (Magna Carta) adoptée par le Roi anglais John au treizième siècle. Autant dire que la Déclaration de l’ONU n’a d’“universelle” que ce que ce que les vainqueurs de la Deuxième Guerre mondiale ont bien voulu lui donner… Lorsque Bill Clinton reprochait à Jiang Zemin de ne pas respecter les droits de l’homme, l’ancien Président chinois affirmait, non sans un brin de sophisme, que la Chine avait au moins 5.000 ans d’existence comme Etat et n’avait pas de leçon de morale politique à recevoir d’un petit pays comme les Etats-Unis, créé il y a moins de trois siècles par des gens dont l’histoire montre qu’ils ne sont pas irréprochables…

Pensez-vous que la manière dont le gouvernement laotien traite ses opposants, comparable à celle dont le gouvernement chinois traite les siens et se comporte avec le Tibet, est révélateur de la prégnance d’un excès d’autoritarisme ou d’une conception alternative de l’ordre dans les sociétés asiatiques ?

Je me méfie des équivalences morales. Je me méfie aussi d’un faux universalisme qui est en réalité un déguisement de l’ethnocentrisme occidental, surtout lorsqu’il est instrumentalisé pour asseoir une vision unique du monde, et un ordre international déterminé par deux ou trois individus. J’apprécie le travail de l’ONU mais je n’oublie pas que le Général de Gaulle l’appelait un “machin”...Cela dit, je rejette également le relativisme de pacotille des dictateurs asiatiques, africains, ou arabes qui agitent l’épouvantail de l’américanisation du monde pour tenter de justifier l’injustifiable.

Il n’existe pas diverses manières de souffrir. La douleur a la même couleur, au Laos, en Haïti, ou en Guinée Bissau. Le problème est que l’Occident a tendance à choisir ses “bons” dictateurs, à qui il déroule le tapis rouge, envoie de l’argent et des armes. Et puis il y a les autres, que l’on traîne devant la Cour Pénale Internationale—une juridiction dont les statuts n’ont été ratifiés ni par les Etats-Unis, ni par la Chine, ni par la Russie… Que faut-il en penser ? L’Arabie saoudite est loin d’être le modèle démocratique. Pourtant, tous les grands donneurs de leçons vont se prosterner devant son Roi… Cette incohérence internationale permet aux dictateurs antioccidentaux d’utiliser la rhétorique de l’impérialisme comme cache-sexe de leurs diableries.

Je le dis depuis des années : 5 millions de personnes ont été massacrées en République démocratique du Congo. Quels dirigeants s’en émeuvent à Washington, Paris, Londres ou Bruxelles ? Qui trouve cela scandaleux ?... La conversation globale sur la notion de “valeurs universelles” n’est légitime que si elle est fondée sur l’humilité. Senghor, dont je n’ai jamais été un admirateur inconditionnel, a dit une chose très juste : pour être crédible, le dialogue des cultures doit s’énoncer comme un véritable rendez-vous du donner et du recevoir.

Certains intellectuels ont vu dans l’autoritarisme l’ingrédient essentiel de la réussite économique de certains pays du sud est asiatique, notamment Singapour avec Lee Kuan Yew ou la Malaisie avec le Docteur Mahahtir Ibn Mohamed. Croyez-vous au concept du "benevolant autocrat" (dictateur éclairé) qu’on pourrait importer d’Asie en Afrique et le cas du Rwanda de Paul Kagamé vous apparaît-il être un modèle du genre ?

Non. Edem Kodjo, un de mes anciens professeurs de fac, parle souvent de “despotes obscurs” pour désigner ces leaders africains qui ont tenté de justifier leur incompétence par des slogans creux comme la nécessité de maintenir “la stabilité politique” ou “l’unité nationale”. Lorsque la CIA soutenait Mobutu Sese Seko, elle disait que c’était lui ou le chaos. Or elle n’a pas eu à choisir : elle a eu simultanément Mobutu et le chaos ! Je ne crois pas aux hommes indispensables qui seraient des proconsuls envoyés par Jésus-Christ pour faire des miracles.

Mais je crois en l’importance d’un certain type de leadership qui a pour objet de bâtir des institutions. Mon ami Paul Collier, qui connait bien Kagame et autres Musuveni, m’a dit un jour que le vrai leadership est celui qui invalide la notion même de leadership ! Quand je lui ai demandé d’expliciter son propos, il a dit que le vrai leader met en place des institutions solides et consensuelles qui finissent par rendre inutile la notion même de leadership car les choses fonctionnent alors d’elles-mêmes.

Vous dites vers la fin de votre ouvrage que « le socialisme a désillusionné les Chinois en bridant leurs fantasmes » contrairement aux populations africaines qui, même colonisées, avaient conservé cette part de rêve. Estimez-vous qu’il était préférable pour les Africains d’être colonisés et dépendants plutôt que de vivre sous le joug du communisme mais souverains ?

Certainement pas ! La formulation même de votre question fait peur !... Mon livre est un rejet à la fois de l’universalisme préfabriqué par certains en Occident, et du relativisme défensif que leur opposent d’autres en Orient. Nous, Africains, appartenons à des civilisations de vieilles souches et ne devons entretenir aucun complexe ni d’infériorité ni de supériorité. Nous avons développé des techniques d’indocilité qui nous permettent d’échapper à la brutalité des pouvoirs.

Nous refusons habilement de payer des impôts pour dire notre dégoût de la corruption, et nous ne respectons pas les feux rouges pour affirmer notre “indépendance de jugement”… Mais ces actes sont en réalité bien puérils. Car ils trahissent surtout notre incapacité à nous émanciper de la douleur et à prendre notre destin en mains.

Nous devons résorber notre déficit d’amour-propre en abandonnant le mimétisme qui nous pousse à chercher constamment à plaire ou à ressembler aux autres, et en énonçant de nouvelles ambitions pour nos peuples. Nous devons apprendre à résoudre nos conflits sans aller quémander l’onction et l’arbitrage (forcément biaisé) de ceux qui se sont autoproclamés les maîtres du monde. C’est surtout la responsabilité des élites que nous sommes.

Au terme de vos multiples voyages, s'il fallait résumer en quelques mots, au risque d'être réducteur, les différences fondamentales que vous avez observées entre les sociétés africaines et les sociétés asiatiques, quelles seraient-elles ?

Les sociétés humaines ne peuvent pas être l’objet de catégorisations géographiques ou racialistes. Les diverses histoires rapportées et discutées dans Un Bantou en Asie voudraient surtout inviter les lecteurs africains à confronter ce que j’ai souvent appelé nos quatre déficits : déficit d’amour-propre, de leadership, de savoir et de connaissance, et de capacité à résoudre les conflits et à communiquer. En Asie, les élites ont compris ce que disait Jules Renard : “le bonheur, c’est de le chercher.”

Ce n’est pas de se plaindre ou d’attendre un quelconque Messie qui ne viendra jamais, puisqu’il est enfoui en chacun de nous. Nous devons le déterrer et le vivifier. Et cesser de nous plaindre constamment des brutalités réelles dont nous sommes victimes. Tous les peuples du monde souffrent ou ont souffert. Certains se laissent ronger par leur souffrance. D’autres inventent les moyens de s’en défaire. Nous devons choisir à quelle catégorie nous voulons appartenir.

Parlant du Cameroun, pourquoi a-t-on l’impression de vous sentir globalement en retrait de l’actualité politique de votre pays qui a pourtant été marquée par la réélection du président Biya le 9 Octobre dernier ?

Je n’ai pas vocation à commenter l’actualité politique camerounaise, qui se résume trop souvent à des gesticulations d’affamés, à de mièvres batailles positionnement, ou à des hurlements de quelques esprits aigris ou désenchantés. En tant que citoyen, j’ai pris mes responsabilités lorsque cela me semblait nécessaire, exprimé quelques propositions pour engager le débat d’idées, et assumé sereinement les conséquences parfois très douloureuses de mes choix. Ce que vous appelez pompeusement “la réélection du Président” a été le dernier symptôme d’un enkystement de notre société. J’ai écrit un texte avec Achille Mbembe l’année dernière pour proposer le renouvellement des modes de production et de légitimation du pouvoir, de sa culture et de ses pratiques.

Nous devons imposer l’alternance comme souffle et respiration démocratiques. Pour cela, nous avons besoin d’un un renouveau de l'imagination morale et institutionnelle, et d’une refonte radicale de nos systèmes politiques. Cette réforme pourrait prendre la forme d'une grande palabre nationale de laquelle sortirait une assemblée constituante. De nouvelles Constitutions fondées sur le principe d'une décentralisation fédérative viendraient s'ajouter des réformes du mode scrutin. Celle-ci inclurait, de nécessité, une dose de proportionnelle à même d'assurer une représentation minimum de la diversité des “terroirs”, tandis qu'un président fédéral honorifique serait élu au suffrage universel.

Pour finir, pourra-t-on attendre un jour de l'économiste que vous êtes un ouvrage traitant des questions de développement en Afrique avec à la clé des pistes de réflexion sur divers sujets (agriculture, bonne gouvernance, nouvelle technologies, institutions, promotion des investissements) et sur la manière dont ce continent devrait aller chercher les clés de l'« émergence économique » , pour reprendre une expression à la mode ?

Il y a des années, lors d’une conférence de presse, un journaliste distrait avait demandé à François Mitterrand de s’exprimer sur un sujet que ce dernier avait déjà évoqué. Agacé, l’ancien Président français avait répondu : “Je vous comprends. Vous n’étiez pas obligé de m’écouter tout à l’heure !” Si j’avais son degré d’arrogance et de méchanceté, je vous répondrais dans le même esprit… Je publie régulièrement divers ouvrages et des articles d’économie—souvent en anglais il est vrai et dans des revues académiques—sur les questions de stratégies de développement ou sur les questions monétaires et financières. Il est serait immodeste de vous en dresser la liste, ce d’autant que ces travaux ont bien plus de portée que les petits textes à vocation philosophique parus en France ces dernières années.

Je ne doute pas que vos lecteurs perspicaces aient le moindre mal à les trouver, que ce soit aux éditions Terroirs que dirige Fabien Eboussi Boulaga, auprès de mes éditeurs de travaux d’économie comme Economica ou à LGDJ-Monthcretien, ou encore dans les bibliothèques du MIT et de Harvard. Mes travaux les plus récents, écrits avec Justin Lin, l’Economiste en Chef de la Banque mondiale, publiés notamment dans Development Policy Review mais disponibles gratuitement sur divers websites, expliquent pourquoi les politiques de stabilisation et d’ajustement structurel étaient mal conçues et ne pouvaient donner de bons résultats. Ils proposent aussi une stratégie de croissance et de création d’emplois pour les pays en développement. Jetez-y un œil. Peut-être méditerez-vous alors ce propos de Confucius : “Ce qu’on sait, savoir qu’on le sait ; ce qu’on ne sait pas, savoir qu’on ne le sait pas ; c’est savoir véritablement.”


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